Sarkozy soigne ses amis patrons, et donc le régime chinois
Sarkozy soigne ses amis patrons, et donc le régime chinois
© Mathieu Génon
Curieusement, dans le bilan dressé ces jours-ci de la première année de
mandat de Nicolas Sarkozy, on parle peu de la politique étrangère. Il y
aurait pourtant là autant matière à critique que dans les autres
domaines. On peut même affirmer que c'est le secteur dans lequel
l'action du nouveau président a été la plus catastrophique. En effet,
la diplomatie était sans doute le dernier champ où la France gardait
une marge de manoeuvre - l'opposition, bien que très timide avec le
recul, de Jacques Chirac à la guerre en Irak l'avait démontré. En
politique économique, cela fait longtemps que la France n'a plus de
marge de manoeuvre, du fait de l'euro, bien sûr, mais encore plus du
fait de l'endettement français, qui rend le pays éminemment vulnérable
- Nicolas Sarkozy est en train de s'en rendre compte. En politique
étrangère, en revanche, la voix de la France comptait encore et la
nouvelle équipe au pouvoir est en train de dilapider le peu de capital
qui nous restait.
Il ne s'agit pas du Tibet, mais de démocratie en Chine
L'épisode des protestations contre la Chine à propos du Tibet est
particulièrement révélateur. La France n'a aucune politique chinoise,
sinon celle du suivisme. On prête à Nicolas Sarkozy cette remarque: «On
me reproche de ne pas assez faire pour le Tibet. Ce n'est pas de ma
faute si De Gaulle a oublié d'envisager la question quand il a reconnu
la Chine en 1964». Le chef de l'Etat nous a habitués, depuis un an, à tant de bévues, qu'il n'en est plus à une près.
De Gaulle a reconnu un Etat qui avait, au milieu du XXe siècle,
violemment rejeté l'impérialisme occidental amorcé par la Guerre de
l'Opium au milieu du XIXè siècle; le président français de l'époque
pensait qu'il n'était pas bon qu'une puissance de cette dimension
restât à l'écart des relations internationales - ni pour elle-même
(Grand Bond en avant, Révolution culturelle), ni pour le monde (danger
du face-à-face américano-soviétique). Que De Gaulle ait reconnu la
souveraineté de la Chine populaire sur le Tibet, qui s'en étonnera:
Nixon a-t-il fait autre chose au début des années 1970? Les grandes
entreprises européennes ou américaines qui fabriquent en Chine ce
qu'elles revendent dans nos pays ne semblent pas se soucier plus que
cela des droits de l'Homme au pays des héritiers de Mao. Personne
n'avait fait pression sur le Comité Olympique International lorsqu'il
s'est agi de retenir la candidature de Pékin à l'organisation des Jeux
Olympiques.
Il ne s'agit pas d'être cynique mais de prendre conscience
du fait que la question n'est pas la souveraineté de la Chine sur le
Tibet. Qui soutiendrait sérieusement que le meilleur moyen d'améliorer
le sort des Tibétains est de déclencher une guerre mondiale? La
question n'est pas non plus celle des droits des Tibétains: c'est celle
de la démocratie pour la Chine entière. Et de ce point de vue, on peut
plaider pour la tenue des Jeux Olympiques en pensant qu'ils forceront
la Chine à s'ouvrir au monde au-delà de l'économie. C'est un point de
vue défendable - mais insuffisant.
Sarkozy et ses amis, ébahis par la Chine lors d'une rencontre en novembre dernier avec des hommes d'affaires chinois. (© service photo Elysée)
Des patrons qui jouent le jeu du régime chinois...
La grande question est celle du développement de l'économie chinoise.
Nos entreprises sont entrées dans la logique de la dictature
post-communiste: produire en Chine, avec une main d'oeuvre
quasi-gratuite, pour les marchés occidentaux. Ce n'est pas ce pour quoi
nos entreprises ont, à l'origine voulu s'installer dans le pays: au
départ, il s'agissait d'avoir accès au marché chinois. Mais le régime
retardera autant que possible le développement économique de sa propre
population, de peur que l'émergence de classes moyennes nombreuses ne
fasse inéluctablement triompher la démocratie.
Si le pouvoir politique jouait son rôle, au lieu de courir
après les contrats pour les entreprises transnationales, il
conditionnerait l'accès de produits venus de Chine au marché français
et européen à des règles strictes: obligation pour la Chine d'absorber
une partie de la production des entreprises françaises en Chine,
imposition aux partenaires européens du principe d'une «taxe sociale»
sur les produits venus de Chine (la France reprenant sa liberté si
l'Europe ne joue pas son rôle sur ce sujet), contrôle très strict des
transferts de technologies, etc.
... et un président soumis aux patrons
Le gouvernement de Nicolas Sarkozy aurait pu rompre avec la mollesse de
son prédécesseur sur tous ces points. Au lieu de cela, il laisse tout
aller à vau-l'eau. Et quand l'opinion s'émeut, à juste titre, de la
répression au Tibet, on laisse avec la même mollesse dégénérer les
manifestations antichinoises sur le sol français, puis insulter la
France par des étudiants chinois téléguidés par le pouvoir qui ornent
le drapeau français de croix gammées et réclament la libération de la
Corse! De Gaulle aurait convoqué l'ambassadeur de Chine pour moins que
cela!
La politique du chien crevé au fil de l'eau. Tel semble
bien être le seul moteur de la politique chinoise de la France. Qu'un
président de la République soit devenu incapable d'expliquer à
l'opinion que la question qui importe, ce ne sont pas les droits des
seuls Tibétains mais ceux de tous les citoyens chinois, qu'on ne peut
pas protester sur le Tibet mais continuer à se fournir dans les
supermarchés où triomphe le «made in China», voilà qui montre une
absence totale d'imagination et de courage de la part des gens qui nous
gouvernent. Il est vrai que Nicolas Sarkozy est l'ami - le relais même
- des grands patrons qui font fabriquer massivement en Chine. Il n'est
pas libre. Il est, comme nous le verrons dans notre prochain article,
condamné à être un défenseur structurel du système monétaire qui
verrouille les rapports de force dans le monde.
Retrouvez ici le premier volet de l'analyse d'Edouard Husson, sur la posture sans courage de Sarkozy face au roi Dollar.
Jeudi 01 Mai 2008 - 09:06
Edouard Husson
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