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Mon Mulhouse3
15 juillet 2008

Les journalistes sont-ils encore utiles ?

Les journalistes sont-ils encore utiles ?

Par Philippe Bilger. Qui revient sur la querelle, pichrocoline à son avis, qui oppose journalistes et blogueurs.



Les journalistes sont-ils encore utiles ?

 

La question est provocante mais la réponse est évidente. Aujourd'hui, encore plus qu'hier, on a besoin des journalistes.
On n'aurait pas songé à une telle interrogation si la grande mode médiatique n'était pas d'interpréter l'essor des blogs et l'infinie diversité des ombres et des lumières d'Internet comme la défaite annoncée du journalisme traditionnel. Je crois qu'au lieu de déplorer ici ou là, on devrait se féliciter ; non pas forcément de l'élargissement de l'espace de la démocratie, en tout cas de l'amplification des possibilités de regard sur notre monde. Ce n'est pas la même chose puisque le premier impose une exigence quand la seconde constate seulement une réalité.
Rien ne me semble plus vain que les controverses pichrocholines qui opposent les journalistes aux blogueurs , éventuellement, les blogueurs entre eux. Versac, récemment, a fait connaître sa décision d'arrêter durant cinq ans son blog si influent. Sa démarche est personnelle et ne met pas en péril l'équilibre global du paysage de l'information. Lui-même en a bien conscience qui n'a pas surévalué son choix.

De l'utilité des blogs...
Peut-être convient-il, une fois pour toutes, de faire un sort à ce prétendu déclin de la presse écrite et audiovisuelle face aux blogs et à Internet qui viendraient, croit-on, se substituer à eux alors que profondément ils viennent plutôt se glisser dans les interstices de l'information officielle, multiplier les facettes de celle-ci et accroître le poids de l'anecdotique. Ce n'est pas d'une réduction dont il s'agit mais d'un cumul qui offre au citoyen passionné une infinité de points de vue. Pour ma part, je n'ai jamais ressenti la création de mon blog comme une dérisoire arme de guerre contre les journalistes mais au contraire comme une alliance parfois tranquille, souvent troublée, entre ceux qui communiquent l'information et la commentent et les personnalités qui, avec leur technique ou leur subjectivité, viennent poser d'autres questions, combler les béances, magnifier le dérisoire apparent et exercer un droit de suite. Quand Yannick Noah dit qu'il se «casse» et qu'il demeure évidemment en France, aucun quotidien n'a envie de le reprendre mais les blogs sont là pour lui rappeler les absurdités qu'il a formulées. Les blogs, d'une certaine manière, sont devenus à la fois la mémoire et la privatisation des médias sérieux et officiels.
A l'évidence, il y a un avenir pour le journalisme. Un chassé-croisé organisé par Télérama entre Jean-François Kahn et Nicolas Demorand a conclu qu'Internet est «un espace de liberté essentiel en démocratie», mais aussi que les journalistes allaient «devoir se battre, sinon ils vont être emportés». Ces deux propositions énoncées respectivement par N.Demorand et J-F.Kahn, loin d'être contradictoires, mettent en exergue ce phénomène que l'élargissement du regard, la pluralité des approches, ne vont pas faciliter la tâche du journaliste mais, au contraire et heureusement, la rendre plus difficile et plus belle.

Et de celle des journalistes

Aussi, dans ce dialogue passionnant de deux intelligences appuyées l'une sur une incontestable expérience, l'autre sur un enthousiasme jamais démenti chaque matin, j'ai tout de même été surpris par la focalisation presque exclusive sur l'indépendance du journaliste, comme si elle représentait le problème central, alors que la compétence est au coeur du débat. En effet, avant même d'avoir à se soucier d'écrire et de parler librement, il faut s'interroger sur ce qu'on a à dire et sur ce qu'on veut transmettre. Il y a une similitude entre l'activité de journaliste et celle de magistrat : pour le premier comme pour le second, on a trop mis l'accent sur l'esprit plus que sur le contenu, sur le développement de soi plus que sur la qualité de l'exercice professionnel.

Indépendance entravée ou médiocrité professionnelle ?

Aussi, osons souligner que la mise en cause du journalisme résulte moins de son indépendance entravée que, parfois, de ses piètres prestations techniques. Vais-je à nouveau m'acharner sur cette malheureuse Claire Chazal, récemment encore en couverture d'un magazine pour sa protection, parce qu'il n'est personne qui ne s'étonne de la voir présenter quand d'autres ont été priés de ne plus le faire ! Il y a un couac, c'est sûr. La compétence va, à l'avenir, devoir faire alliance avec ce qu'on évoque peu, parce que ce serait violer la règle qui édicte que tout se vaut et que tous sont interchangables : le talent. Nicolas Demorand ne se trompe pas lorsqu'il affirme que «nous parlons tous des mêmes sujets parce que nous nous abreuvons aux mêmes sources». Internet et les blogs n'ont pas substantiellement modifié cette «information unique» même si, dans les recoins, ils ont pu glisser des miettes anecdotiques, vulgaires, voire graveleuses. Mais parce qu'il y a cette unicité et qu'elle constituera, pour longtemps, une tendance forte, le talent va survenir, jouer les trouble-fête, apporter sa touche de folie et d'imprévisibilité, son ton décalé, sa politesse critique, son art de faire du nouveau avec de l'ancien. On ne pourra plus prétendre se réfugier derrière la bannière commode : tout va mal donc nous sommes tous coupables. De plus en plus, il y aura les mauvais et les bons, ceux qui donnent un supplément d'esprit et ceux qui le retirent. Il y aura la touche personnelle qui discriminera.
Alors, l'indépendance, ce luxe, aura toute sa place - la place d'honneur - quand l'excellence technique, la fiabilité intellectuelle et la maîtrise du style seront acquises. Il ne faut pas placer la charrue de l'être avant les boeufs du métier.
Il y aura toujours, pour les lecteurs frénétiques, une aura particulière qui illustrera la presse écrite. Ce quelque chose en plus, qu'Internet ne détruira jamais, que les blogueurs n'offriront pas, c'est cette hâte, cette impatience qui saisit celui qui a son quotidien dans les mains, qui tourne ses pages et plonge dans le monde de l'écrit en même temps que l'univers, même de manière fragmentaire, lui est présenté. Et ainsi de suite, chaque jour. Je n'ai jamais pu me déprendre de l'impression forte qu'un événement s'inscrivant dans la réalité ne prenait son sens véritable et sa dimension authentique qu'une fois passé au crible de la presse écrite. Le vrai ne le devenait effectivement qu'une fois lu. Analysé, commenté, disséqué, mis à distance, soumis à critique. Le vrai tombait dans l'oubli quand la presse écrite ne parlait plus de lui, décidait de le laisser mourir. Je sais que c'est absurde mais c'est comme cela.
Les journalistes sont utiles. Mieux, ils sont nécessaires.


Mardi 15 Juillet 2008 - 00:19

Philippe Bilger

Retrouvez moi : http://monmulhouse.canalblog.com/




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