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Mon Mulhouse3
14 avril 2008

Morts de sans-papiers: où en sont les enquêtes ?

Morts de sans-papiers: où en sont les enquêtes?

   

   

Baba Traore, Ivan, Chulan Zhang... Les décès lors de contrôles se multiplient. Des enquêtes sont lancées, mais ou mènent-elles?

Contrôle de gendarmerie à Clichy-sous-Bois (Regis Duvignau/Reuters)

Il y a une semaine, Baba Traore mourrait dans la Marne, à hauteur de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne). Malien, âgé de 29 ans et célibataire, il venait d'être contrôlé à la sortie du RER par des agents de la RATP et des policiers. A leur présenter, Baba Traore n'a que sa carte de la RATP. Pas de pièce d'identité. Encore moins de titre de séjour: il était arrivé en France pour donner un rein à sa soeur, en 2004, et son titre de séjour était arrivé à expiration. Lui était resté, sans papiers.

Depuis le mois de janvier, il était sous le coup d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Lorsque les policiers -en civil, raconteront des témoins- lui demandent de les suivre pour vérifier son identité, il prend la fuite. Au bout de la course, les parapets qui protègent les berges du fleuve. Il saute à l'eau. Hydrocution: la Marne était à 6 degrés ce vendredi 4 avril. Il se passe encore quelques minutes avant que les secours ne le repêchent, inconscient. Transporté à l'hôpital à Paris, il décède peu après.

Ce récit, c'est celui du parquet de Créteil, en charge du dossier. Car une enquête a été ouverte et confiée par le parquet à l'IGS, la "police des polices". L'autopsie indique que Baba Traore est mort d'un choc cardiaque lié à la température de l'eau. Brigitte Franceschini, secrétaire générale du parquet au TGI de Créteil, précisait vendredi soir que l'enquête sur la mort de Baba Traoré était "quasi bouclée":

"Si nous constatons une infraction pénale de la part des policiers, nous pouvons décider de poursuivre. Mais les témoignages sont formels et confirment les résultats de l'autopsie: il n'y a pas eu de contact après le contrôle entre les policiers et Baba Traore. Il n'y a aucune trace de violences."

La soeur de Baba Traore, elle, contestait dans la presse, quelques jours après le drame, que son frère ait pu se jeter à l'eau: "Parce qu'il aimait trop la vie."

Des précédents tragiques

L'annonce de ce décès a déclenché un vif émoi dans l'opinion publique. Car l'histoire de Baba Traore entre en résonnance avec celle d'autres sans-papiers, morts après un contrôle d'identité. C'est le cas de ce jeune Congolais qui s'est jeté du deuxième étage de l'hôtel de police, à Lyon, le 4 août. Le cas, aussi, le 20 septembre, de cette Chinoise qui s'est elle aussi défenestrée, boulevard de la Villette, à Paris, lorsque les policiers étaient venus perquisitionner dans un appartement au 1er étage. L'enquête révelera que la police cherchait en fait son logeur dans une affaire de vol. Chulan Zhang avait 51 ans.

C'est aussi le cas d'Ivan, 12 ans, né à Grozny, dont l'histoire a été très médiatisée. Le 9 août, la police réveille cette famille tchétchène en sonnant à la porte de leur appartement d'Amiens. Les parents d'Ivan refusent d'ouvrir, le père panique et décide de passer sur le balcon du voisin du dessous lorsqu'il entend la police défoncer la porte. Son fils veut le suivre. Il tombe. Il passera plusieurs jours dans le comas, puis de longs mois hospitalisé.

Contacté vendredi, maître Lec, son avocat, raconte qu'Ivan a repris les cours au collège à mi-temps et qu'il est en rééducation le reste du temps. Ses parents et lui ont arraché un titre de séjour provisoire d'un an, alors qu'Ivan était encore dans le comas.

A l'epoque, Ivan est le quatrième sans-papiers à passer par la fenêtre en un mois et demi. Là aussi, une enquête a eu lieu. Au pas de course et dans une grande discrétion: Ivan chute du balcon le 9 août, l'IGPN boucle son enquête le 3 septembre. Quelques jours plus tard, le parquet d'Amiens classe l'affaire sans suite. A l'époque, Me Francis Lec expliquait à Rue89 que l'Etat pourrait être inquiété dans cette affaire. Huit mois plus tard, l'avocat précise:

"L'enquête est close et nous ne sommes guère étonnés des conclusions. Mais on peut encore porter plainte contre X pour faire rouvrir l'information judiciaire. Les milieux associatifs qui entourent la famille poussent en ce sens. Devant le tribunal administratif, nous pourrions poursuivre l'Etat. Les parents, eux, ne sont pas encore décidés."

Que se passe-t-il réellement sur place pour qu'on en arrive là?

Ajoutant au désarroi qui va crescendo, les cas se multiplient: le 8 janvier, un autre sans-papiers, Algérien de 26 ans, mourrait en se jetant dans le vide durant une perquisition, en région parisienne. Et l'opinion publique de s'interroger: comment peut-on en arriver à tant de contrôles à l'issue dramatique? Que se passe-t-il réellement sur place pour qu'on en arrive là?

L'ouverture d'une enquête est systématique sitôt que l'affaire débouche sur un décès. Deux autorités peuvent en être à l'initiative: le préfet ou le parquet. Mais ces enquêtes, annoncées très vite après le drame, sont-elles efficaces et crédibles? Vite menées, discrètement closes, elles ne débouchent le plus souvent sur rien.

Contactés cette semaine pour faire le point sur l'enquête, sept mois après la mort de Chulan Zhang, ni l'IGS ni le parquet de Paris n'ont voulu répondre à Rue89. A Créteil, où s'instruit l'enquête sur la mort de Baba Traore, Brigitte Franceschini, la secrétaire générale du parquet, a, elle, accepté de nous parler de l'affaire:

"C'est la toute première fois que nous sommes confrontés à un tel cas. Je sais qu'il y a eu des précédents, et d'autres enquêtes à la clef, mais on n'échange pas, entre parquets. Les autres affaires, c'est par la presse que j'en ai entendu parler."

Une conséquence de la politique du chiffre

Proche de la gauche et ouvertement hostile à la politique actuelle envers les sans-papiers, le Syndicat de la magistrature n'hésite pas à aller plus loin:

"Nous n'avons pas encore de chiffres sur ce point. La question du suicide d'étrangers en centre de rétention ou de décès lors d'interpellation est assez récente. C'est la pression du chiffre qui crée les conditions d'un stress légitime pour les étrangers: ils veulent échapper par tous moyens à la police."

Enfin, outre l'enquêtes administrative, lancée par l'administration concernée, et l'enquête judiciaire, sous le contrôle du parquet, ces affaires peuvent aussi déboucher sur une enquête de la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS), sur l'initiative d'un député.

La CNDS rendait justement public, cette semaine, son rapport annuel pour 2007. La Commission, peu diserte par téléphone, concède toutefois du bout des lèvres quelques mots sur ces affaires:

"Oui, nous avons des cas comme celui [De Baba Traoré]. Nous sommes alors en droit d'exiger des pièces émanant de l'enquête judiciare ou administrative, qui existe à côté. Mais nous restons soumis au bon vouloir des gens qui nous répondent: ça peut prendre plusieurs mois, en cas de blocage d'un juge d'instruction, par exemple. Notre appréciation des faits est régulièrement différente de celle de l'IGS, c'est notre raison d'être."

Et la CNDS, qui avait été créée en 2001, de souligner que ses moyens restent très limités "pour une bonne raison: lorsqu'il y a un décès, il nous manque un témoignage crucial, celui du mort!"


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