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Mon Mulhouse3
18 octobre 2008

Justice : le blog qui libère la parole

Maître Eolas, le blog d'un avocat sous pseudonyme. | Alexandre Piquard / Damien Leloup

Alexandre Piquard / Damien Leloup

Maître Eolas, le blog d'un avocat sous pseudonyme.

Justice : le blog qui libère la parole

Un mot d'abord, destiné à ceux qui ne connaissent pas ce drôle de salon du Web. Eolas est le pseudonyme d'un avocat parisien trentenaire, qui a emprunté au gaélique irlandais ce mot qui signifie "connaissance, information".

On est d'office mis dans l'atmosphère du blog, avec prière de s'en montrer digne. A priori, il n'avait rien pour plaire. Une mise en page ultra-sobre, des textes longs, parfois très longs, une matière austère - le droit, avec une appétence particulière pour celui, aride entre tous, des étrangers - un ton de donneur de leçons qui ne souffre guère la critique, un art du soufflet épistolaire à vous glacer les doigts sur le clavier. Mais aussi, entre deux salves contre la presse et son incurie, ou contre tous ceux, en général, qui s'aventurent à parler de la chose juridique sans la rigueur nécessaire, un humour redoutable et quelques joyeux moments de légèreté.

Au fil des ans, ce blog s'est ainsi imposé comme le rendez-vous quotidien de milliers de lecteurs, plutôt bac + 8, savourant les épigrammes quasi quotidiennes du "maître" et venant y déposer, en plus de leurs humeurs du moment, des considérations pointues ou des questions sur les sujets d'actualité qui, à leur tour, suscitent des réponses d'Eolas, parfois plus fournies que le billet initial, et nourrissent de nouveaux commentaires jusqu'à constituer un véritable forum.

DADOUCHE, GASCOGNE ET FANTÔMETTE

Mais si Eolas demeure la vedette incontestée de ce blog, sa grande originalité est d'avoir ouvert sa porte à des colocataires qui prennent régulièrement désormais son relais. Parmi eux, deux magistrats, sous pseudonyme eux aussi, anciens juges d'instruction devenus pour l'une, Dadouche, juge des enfants, et pour l'autre, Gascogne, procureur, et une avocate du barreau de Nanterre, Fantômette. Deux autres, magistrats eux aussi, piétinent dans la salle d'attente et ne devraient pas tarder à se voir attribuer une chambre.

"Dès le début, j'avais caressé le rêve de voir ce blog devenir un lieu d'échanges avec les magistrats", explique l'avocat. Ses espoirs ont été réalisés au-delà de ce qu'il avait imaginé. Attirés par cet "entre soi" des gens de droit, les magistrats comptent parmi ses plus fidèles commentateurs et trouvent dans ce blog un moyen de défendre publiquement leur métier en dehors des traditionnels canaux syndicaux. Le "Journal d'un avocat" est ainsi devenu un lieu d'échanges unique entre ces deux professions - juges et avocats - qui se côtoient chaque jour mais s'ignorent souverainement et se méprisent respectivement souvent. Et c'est ainsi que le sujet Dati s'est imposé comme un des topics du blog pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

La garde des sceaux est la seule à s'être vu décerner deux prix Busiris, une distinction parodique inventée par Eolas, en hommage à ce personnage de juriste sicilien déniché chez Giraudoux, dans La guerre de Troie n'aura pas lieu, capable de démontrer d'abord que la manoeuvre des navires grecs est belliqueuse et ne peut être réparée que par la guerre, puis d'argumenter avec la même vigueur en sens inverse lorsque Hector menace de le tuer. Moins savamment résumé, ce prix couronne donc tous ceux qui, avec le même aplomb, soutiennent tout et le contraire de tout. Les propos de Rachida Dati, en mars sur la "rétroactivité d'application immédiate" de sa loi sur la rétention de la sûreté - "une affirmation juridiquement aberrante et contradictoire", a sifflé Eolas - lui ont valu sa première récompense. Elle fut suivie, quelques mois plus tard, d'une seconde destinée à célébrer les affirmations ministérielles sur le succès des peines planchers en cas de récidive, alors même que les statistiques prouvaient au contraire qu'en dépit de l'obligation faite aux juges de les appliquer, celles-ci restaient minoritaires. Ce billet avait d'ailleurs valu à Eolas un commentaire en réponse du porte-parole de la ministre, Guillaume Didier, preuve que la chancellerie compte quelques fidèles scrutateurs du "Journal d'un avocat".

"BÉNIES SOIENT LES BOTTES DIOR..."

Mais ce sont surtout les toutes dernières initiatives de la ministre qui ont déchaîné les passions dans le salon d'Eolas. La convocation à la chancellerie du procureur de Sarreguemines, qui avait signé le placement en détention du mineur de 16 ans retrouvé suicidé dans la prison de Metz, a donné lieu à un court billet amer de Dadouche, intitulé "Le dégoût" et mis en ligne le dimanche 12 octobre.

Trois jours plus tard, le blog d'Eolas affichait sous cette note 289 commentaires qui sont autant de réquisitoires contre la garde des sceaux et de soutiens aux juges. Paroles de magistrats, mais aussi d'avocats, de membres de l'administration pénitentiaire, de greffiers, ou de... simples justiciables trouvant que, cette fois, la coupe est pleine.

Moins solennelle, mais tout aussi cruelle, avait été, quelques semaines auparavant, une note d'Eolas relative aux poursuites engagées contre le bâtonnier de la Réunion, Georges-André Hoarau qui, dans sa plaidoirie, avait osé comparer le faux reproché à son client et les petits arrangements de la garde des sceaux avec la vérité de son curriculum vitae universitaire.

Sous la plume d'Eolas, cela donne, entre deux explications rigoureuses sur le délit de diffamation, un bouquet d'incidentes fleuries - "Notre garde des sceaux - que mille soleils éclairent son chemin - (...) Dans un arrêt du 4 juin 1997, soit l'année même où l'Aphrodite de la place Vendôme - bénies soient les bottes Dior qui ont reçu ses divins pieds - devenait magistrate, la Cour de cassation a précisé que... (...)" ou encore : "Et il faut bien reconnaître qu'ironiser sur le prétendu faux diplôme - béni soit-il - de la garde des sceaux - qu'un millier de fleurs éclosent à chacun de ses pas - n'avait rien à voir avec le dossier de faux du bâtonnier Hoarau - que dix-sept cyclones s'abattent sur son cabinet et mélangent ses dossiers", et autres douceurs du même acabit, reprises en choeur et amplifiées avec jubilation par la centaine de commentateurs de cette note. Une impertinence et une révolte qui n'ont plus rien de virtuel.

Pascale Robert-Diard



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