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Mon Mulhouse3
17 septembre 2008

"La crise étouffe progressivement les économies occidentales"

Michel Aglietta, professeur d'économie à l'université Paris-X

"La crise étouffe progressivement les économies occidentales"

Michel Aglietta, vous êtes un spécialiste de la finance américaine. La faillite de Lehman Brothers, après la nationalisation de Freddie Mac et Fannie Mae, donne l'impression de châteaux de cartes s'effondrant les uns après les autres. Comment l'analysez-vous ?

Nous assistons à une crise majeure, celle de l'organisation même du système financier. Elle a été provoquée par un phénomène de surendettement, que le modèle des banques d'affaires et d'investissement a énormément amplifié. En effet, ces banques se financent, non avec des dépôts, mais en émettant du "papier commercial", acheté par des fonds d'investissement, sicav, etc. Elles ont pu réaliser ainsi, ces dernières années, des financements dits "titrisés" de très grande ampleur, car les taux d'intérêt étaient bas et la valeur des actifs liés à l'immobilier montait beaucoup. Aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit, et le processus fonctionne à rebours. Les investisseurs ne veulent plus acheter de "papier commercial". De plus, les banques ne se consentent plus de crédits entre elles, face au danger que leurs homologues conservent des pertes cachées. Et des crises de paiement très violentes apparaissent.

Pourquoi les banques d'affaires ont-elles pu prendre de tels risques ?

Elles ne sont pas soumises à des contraintes "prudentielles" (des règles de limitation des risques) comme les banques de dépôt. Elles ne sont surveillées que par la SEC (Securities and Exchange Commission, le gendarme des marchés américains) pour leurs opérations de marché. C'est pourquoi la Fed, la Réserve fédérale, a demandé au Congrès américain de les superviser.

 

 

Jusqu'où la crise peut-elle aller ?

Elle se poursuivra jusqu'à ce que les investisseurs institutionnels, plusieurs fois échaudés, soient rassurés par le bilan des établissements financiers : le rapport entre leurs fonds propres et la valeur des actifs qu'ils détiennent doit revenir à un niveau acceptable. Les intermédiaires sont à peu près paralysés, ce qui rend la crise longue et devrait l'amener très loin dans l'année prochaine et peut-être en 2010. Elle est aussi en train de se propager à l'économie réelle et d'étouffer progressivement les économies occidentales.

 

 

Quels sont les effets en chaîne possibles de cette faillite bancaire ?

Lehman est une banque très importante : elle a des liens de contrepartie avec toutes les autres. Que l'on n'ait pas pu la recapitaliser, pour circonscrire les pertes, montre à quel point l'inquiétude est forte. Face aux risques pour le système, des pare-feux ont été installés : dix très grandes banques ont mis des liquidités en commun et créé un fonds de garantie. D'autre part, la Fed a pris des mesures pour faciliter l'apport de liquidités aux banques d'investissement : elles peuvent lui donner en garantie (collatéral) non seulement des emprunts d'Etat, mais aussi des actions d'entreprises cotées en Bourse ! Cela ne s'était jamais produit jusqu'ici, sauf à Hongkong en 1997. Il faut noter que la Fed a ouvert cette ligne de crédit en avril, à la suite de la quasi-faillite de la banque Bear Stearns, pour des établissements qui ne relèvent pas de sa prérogative, au contraire des banques de dépôt. Toutes ces mesures ne vont pas résoudre la crise mais elles visent à empêcher les marchés de se gripper complètement.

 

 

Quels problèmes posent l'engagement massif des pouvoirs publics américains ?

 

Si la Fed fournit des liquidités en échange d'actions, c'est parce qu'elle est épaulée par le Trésor américain, qui les lui rachètera ensuite, en payant avec des emprunts d'Etat. Avec les différentes opérations de sauvetage et de soutien en cours, on peut s'attendre à un très fort déficit budgétaire.

 

D'autres risques se profilent-ils ?

 

On peut noter l'extension de la crise aux banques régionales américaines. Une centaine sont jugées douteuses et dix d'entre elles ont déjà fait faillite. L'organisme d'assurance des dépôts, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), pourrait ne pas avoir assez de ressources pour garantir tous les dépôts de ces établissements. La question risque de se poser.

 

L'économie américaine peut-elle résister à ces chocs ?

Les chiffres rassurants de la croissance au second trimestre ont créé une illusion. Ces derniers mois, les ménages ont vendu des parts de mutual funds (sicav), contraints et forcés, afin de payer leurs dettes. Cela ne peut pas durer indéfiniment : on peut s'attendre à une remontée de l'épargne et à une baisse de la consommation, qui produira sinon une récession, du moins une stagnation économique. Les profits des entreprises vont donc continuer à se dégrader. Or le recul de la valeur des actions produit d'autres risques systémiques. En effet, dans les années euphoriques, beaucoup d'entreprises se sont endettées pour racheter leurs propres actions, ce qui a fragilisé leur bilan.

 

Propos recueillis par Adrien de Tricornot

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