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Mon Mulhouse3
28 juillet 2008

Siné : 79 ans de dérapage plus ou moins contrôlé

Siné : 79 ans de dérapage plus ou moins contrôlé

   

   

Le dessinateur anar de Charlie Hebdo est accusé d’antisémitisme. Lui revendique le droit à l’outrance, voire à la connerie.

Siné (Audrey Cerdan/Rue89).

C’est l’histoire d’un mec qui avait fait de l’anticléricalisme son fond de commerce et qui se retrouve à compter ses amis juifs depuis son éviction de Charlie Hebdo. Siné, dessinateur outrancier et foutraque qui campait ferme son poste de « plus gros emmerdeur de la presse française » depuis des décennies et qui, le 2 juillet, a écrit ceci:

«Jean Sarkozy vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit! »

Accusé d’antisémitisme le 8 juillet, sur RTL, par le journaliste Claude Askolovitch, Siné n’est plus dans la jubilation du scandale des premiers jours. Si Val ne l’a pas officiellement taxé d’antisémitisme, se contentant de dire qu’il avait « franchi la ligne rouge », Siné organise sa défense, stratégie de com’ comprise.

L’anar « bête et méchant » se retrouve flanqué d’un comité de soutien et d’une pétition dont les signataires n’hésitent pas à aposer « juif » à côté de leur nom. Pour la première fois de sa vie, le dessinateur sans dieu ni maître contre qui harkis, Eglise et autres ont souvent porté plainte, se retrouve à faire un procès.

Inversion des rôles: c’est lui qui attaque Claude Askolovitch pour « diffamation », changeant au passage d’avocat pour ce procès à front renversé sur fond de préjudice professionnel. Pour ne pas être condamné, Askolovitch devra faire la preuve de l’antisémitisme du dessinateur. En vacances à l’étranger, le journaliste a refusé toute interview, affirmant « avoir tout dit » dans son dernier article du Nouvel Obs. Au passage quand-même:

« Mais je connais bien les passages de l’extrême gauche à l’extrême droite. »

« Son truc, c’est de faire caca sur la moquette »

Loin de son havre estival, on exhume Siné dans le texte depuis ses années Hara-Kiri. C’est la face B du procès en diffamation. On dépiaute l’œuvre de cette plume pas très légère -malgré un régime et quinze kilos en moins cette année- de 79 ans.

Fils d’anar, il est né Maurice Sinet dans un milieu populaire, de parents épiciers à Barbès, qui ne se sont mariés que deux ans après sa naissance, le laissant avec l’état civil du premier mari -trompé- de sa mère, inconnu de lui. Jusqu’au certificat d’école, il a d’ailleurs cru qu’il s’appelait Versy, le nom du père. Dès sa naissance, sa mère l’appelle Bob, comme ses proches aujourd’hui.

Devenu dessinateur après l’école Estienne via quelques années dans les cabarets de Pigale, Siné est subversif. Ses amis disent de lui que « son truc, c’est de faire caca sur la moquette ». Exécrer, Siné sait faire: bouffeur de curé, de puissants, de riches… « Les cons en général », dit-il, dans son pavillon de Noisy-le-Sec où il vit entouré de ses chats, de lampes Pipistrello un peu cabossées et de fauteuils Eames.

Celui que Desproges saluait comme « seul gauchiste d’extrême droite en France » a des casseroles qui remontent à la surface. Elles s’appellent Vergès ou Europalestine, et surtout Carbone 14.

1982: des propos sans ambiguïté

L’affaire Carbone 14, du nom d’une radio libre du début des années 80, a valu à Siné d’être condamné en 1985 pour « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciales ». Au beau milieu d’une nuit d’août 1982, Jean-Yves Lafesse, humoriste peu connu pour sa grâce, invite Siné à partager le micro alors que l’attentat de la rue des Rosiers vient d’avoir lieu. Une bouteille de whisky chacun, lâchez les chevaux:

« Je suis antisémite. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien… »

Sans ambiguïté. Mal à l’aise de voir Carbone 14 resurgir dans la conversation, Siné hésite à expliquer ce qu’il croyait enterré:


La LICRA renoncera finalement à sa plainte. C’est le très actif Me Gilles-William Goldnadel, président de l’association France-Israël, qui l’a fait condamner. Il avait aussi réussi à faire condamner Edgard Morin pour racisme -avant de perdre en cassation.

Interrogé par Rue89, Goldnadel assure à Claude Askolovitch qu’il témoignerait « volontiers ». Il fait le pont entre les deux affaires et tisse une cohérence antisémite chez Siné dont la ligne de défense reste le droit à l’outrance, et même à la connerie. C’est à ce titre que le dessinateur assume la brève sur Jean Sarkozy… même s’il a accepté de signer un texte d’excuse, comme il le fait régulièrement.

Son entourage ne nie pas la casserole. Le dessinateur Charb, 40 ans, dont Siné avait fait « son neveu » avant de crier au paricide, ne s’est pas désolidarisé de la hiérarchie de l’hebdo satirique. Lui qui a connu intimement le clan Siné (au point de partager vacances et réveillons avec lui) ne minimise pas, vingt-trois ans plus tard, la déflagration de Carbone 14:

« C’est une énorme connerie, qu’il a trainée longtemps avec lui. Pourtant, il n’est pas antisémite. Si on me prouve qu’il l’est, je veux bien être le premier à lui mettre une balle. Si un avion d’Africains s’était écrasé la veille, il aurait dit: « Bien fait pour leur gueule » sur Carbone 14. Son truc, c’est de choquer ou d’être du côté de l’opprimé. Pour Europalestine, je lui avais déconseillé, mais il me disait: « Mais si, ça va faire chier ! »  »

Catherine, sa seconde femme, journaliste à la retraite, est prolixe pour défendre le bonhomme. Sur l’affaire Carbone 14, pourtant, elle se crispe. Sa fille, Stéphane, réalisatrice, a connu Bob Siné quand elle avait 5 ans. Elle était tout juste adulte lors de Carbone 14:

Parce que le droit au mauvais goût semble un peu court, les siens s’évertuent à faire la preuve d’un CV non antisémite. Sur la pétition, aux côtés de Godard ou de l’historien Maurice Rajsfus, on trouve Anik Siné, sa première femme qui signe « ex-épouse juive de Siné ».

Stéphane, la fille de Catherine, raconte « une famille à l’image d’un homme qui n’a pas fait de compromis en quatre-vingts ans » et répond ceci à ceux qui rétorquent que Drieu-La Rochelle avait bien épousé une Juive:

Une femme juive et un père pacifiste anti-De Gaulle

Dans ses mémoires, parues il y a neuf ans, Siné raconte d’ailleurs la rencontre avec Anik (qui s’appelait alors Suzanne) et sa famille juive ashkénaze, qu’il adore très vite et qu’il épouse. A la sortie d’une guerre dont on parlait peu chez lui, mais durant laquelle son père antimilitariste conchiait volontiers tous les généraux, De Gaulle compris.

Siné antisémite? L’accusation fait aussi faire des bonds à ceux qui le connaissent de près et les témoignages se succèdent, parmi lesquels beaucoup de juifs arguent qu’ils sont « bien placés pour en parler ». Ainsi, Gisèle Halimi -« pourtant pas une copine »- ou Michel Polac, qui le connaît de longue date (Catherine fut sa rédactrice en chef), assure qu’il a bien « le droit d’être excessif » et que son sens de la provocation est « un signe de santé ».

Pour Polac, « une tradition de la caricature est menacée »:

L’éternel porteur de valises du FLN

Tandis que BHL réanime Voltaire dans Le Monde, Siné ne semble pas comprendre ce qu’il peut y avoir d’antisémite dans sa dernière chronique. De fait, depuis des décennies, la politique du gouvernement israëlien envers les territoires occupés et l’argent des puissants font partie de ses principales obsessions. Sans lien avec la provocation de Carbone 14, impensable aujourd’hui.

Depuis, il a d’ailleurs rompu avec Vergès, ancien copain d’Algérie tendance FLN, n’ayant jamais compris que l’avocat puisse défendre Klaus Barbie. Collaborateur de toujours du journal des caricatures du prophète Mohamed, Siné s’arc-boute et soutient qu’on lui a fait un faux procès pour l’évincer:


Restent pourtant deux lignes sur Jessica Darty qui associent bel et bien opportunisme et mariage juif, sans qu’il soit ici question de bigoterie. Une évocation qui conserve, pour beaucoup, des relents d’antisémitisme façon IIIème république. Ou, a minima, un parfum de comique franchouillard un peu nauséabond.

« Polémiste génial »? Le soutien de la corporation

Grosse bourde d’un provocateur dépassé ou réel dérapage? Alors que tout ce que Paris (et Bruxelles) compte de dessinateurs monte au créneau, le débat s’oriente vers la marge de manœuvre d’un caricaturiste. Certains en profitent pour régler leurs comptes avec Philippe Val, accusé d’avoir fui sa responsabilité de patron de journal.

Siné a toujours prêché que « tout le monde doit être traité à la même enseigne » mais s’échauffe aussitôt en disant que « pour taper sur les Palestiniens, personne ne se gêne alors que les Juifs restent intouchables ».

Le plutôt soft Philippe Geluck, qui donne pourtant dans un tout autre registre, défend sans hésiter « un géant dans le métier »:

« Ce n’est peut-être pas la meilleure idée de ce polémiste génial. Mais quand il voit un magistrat ou un flic, il montre ses fesses. Bourré, il traite tout le monde de connard. Si c’est un représentant de la Nation qui le fait, il y a quelque chose qui ne marche pas mais si c’est un provocateur même un peu con, c’est sain. »

Même son de cloche chez le Néerlandais Willem qui dessine chez Charlie et à Libération. Pour lui, « Siné a inventé la provocation »:

Tout en partageant son tropisme pro-palestinien, Charb, lui, continue de penser que l’on ne peut pas faire abstraction de la Shoah et que des clignotants doivent s’allumer lorsqu’on croque les juifs, même avec la plume d’un polémiste. Parce que « tu ne peux pas faire abstraction de ce qu’il s’est passé » et qu’il n’a « pas envie de faire rire l’extrême droite ».

Pour le numéro de Charlie hebdo cette semaine, Charb prépare une chronique qu’il pense quand même titrer: « Siné n’est pas antisémite ».

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