« Les internautes européens risquent de se réveiller avec une sacrée gueule de bois »
par Astrid Girardeau, Erwan Cario
tags : politique , Europe , riposte graduée
© Wilfrid Estève
Le 10 avril dernier, le parlement Européen prenait position
contre le système de riposte graduée au cœur du projet de loi
« Création et Internet » défendu par Christine Albanel. Il jugeait
disproportionnée cette mesure de lutte contre le téléchargement illégal
qui pouvait aboutir à la suspension de l’accès Internet des
utilisateurs. Une position de principe qu’on aurait tort de croire
définitive. En effet, le 7 juillet, plusieurs directives,
regroupées sous le nom de « paquet télécom » seront votées en
commissions, avant sa présentation en séance plénière à la rentrée. Le
paquet télécoms concerne la modernisation du secteur des communications
électroniques. L’occasion rêvée pour inclure toute une série
d’amendements autour de la surveillance et du filtrage des réseaux.
Avec, en guest-star, la riposte graduée à la française. Nous avons interrogé Guy Bono, député européen du Nouveau Parti socialiste (PSE), et responsable du rapport Industries culturelles en Europe. Quels sont les enjeux du vote du 7 juillet ?
Avec l’amendement voté en avril,
on pouvait penser que l’Europe pouvait servir de garde-fou à propos du
projet français. Aujourd’hui, peut-on craindre que l’Europe aille plus
loin que la France dans la surveillance et la répression ?
Pensez-vous que la présidence française pourra influer sur le résultat du vote ?
Quel pourra être l’influence de ce vote au niveau des lois nationales de chaque pays si toutes les propositions passent ?
Est-ce que l’apparition de la riposte graduée française a eu des effets au sein de l’Europe ?
A quelques jours du vote, il y a t-il des pressions particulières sur les parlementaires ?
Une mobilisation est-elle encore possible et peut-elle influer le résultat ?
A défaut, nous ne pourrons inverser la tendance et les
internautes européens risquent de se réveiller avec une sacrée gueule
de bois ! A lire aussi :
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Le paquet télécom qui sera voté en commission lundi entend
moderniser la législation européenne du secteur des communications
électroniques - internet, téléphonie fixe et mobile - pour l’adapter
aux évolutions technologiques et au développement rapide du marché.
Plusieurs directives sont sur la table. Des milliards d’euros sont en
jeux. Le projet de loi français de riposte graduée aussi.
Dans sa résolution du 10 avril dernier, le Parlement européen a
estimé la riposte graduée comme une mesure “disproportionnée”. Cette
prise de position est à relier à l’arrêt de la CJCE du 29 janvier 2008
qui avait rendu que le droit de propriété intellectuelle était loin
d’être absolu, qu’il devait être concilié avec les autres droits
fondamentaux, comme le droit à la protection des données à caractère
personnel, et donc de la vie privée, et que dans tous les cas, le
principe de proportionnalité devait être respecté. Après ce vote du
Parlement européen, on pouvait raisonnablement estimer que le juge
communautaire suivrait l’assemblée européenne dans son interprétation
du droit communautaire, rendant par la même occasion le projet de loi
français illégal au regard des principes généraux du droit européen.
Ayant compris cela, les majors des industries culturelles, soutenues
par un certains nombres de députés français et anglais, ont fait
déposer en masse des amendements visant à légaliser le principe de
riposte graduée en droit communautaire, quitte à abaisser le niveau de
protection des données personnelles et de la vie privée.
Au delà de ses relations étroites avec les majors, le gouvernement
français aura son mot à dire une fois que le Parlement aura adopté le
texte en plénière en septembre prochain. Il paraît évident que Sarkozy,
aidé par ses amis britanniques, va chercher à surfer sur la Présidence
française pour étendre ses positions sécuritaires et légaliser au
niveau européen son projet de riposte graduée. Tout un programme pour
la présidence du “pays des droits de l’Homme” !
Certaines propositions visent à mettre en place une architecture de
contrôle administratif du réseau internet. On va tout droit vers un
internet de surveillance et de filtrage voulue par quelques grandes
entreprises. Les intermédiaires techniques seront transformés en
véritables auxiliaires de police privée et les autorités
administratives pourront restreindre les droits fondamentaux des
citoyens à la place de l’autorité judiciaire. C’est la porte ouverte à
la mise en œuvre de la "riposte graduée" voulue par le président
français Nicolas Sarkozy.
Oui, on le voit bien puisque le débat gagne toute l’Europe. Au
Royaume Uni, un projet de loi similaire va être présenté prochainement
par le gouvernement. En Grèce, un texte sera également présenté à la
rentrée. La Suède a déjà repoussé le modèle français. En Italie,
l’autorité de protection des données personnelles s’est déjà prononcé
contre les polices privées en charge de la chasse des internautes qui
téléchargent. En Allemagne, enfin, la cour constitutionnelle allemande
de Karlsruhe a estimé que l’abaissement du niveau de protection des
données personnelles et de la vie privée ne peut pas être effectué au
nom de la simple “la propriété intellectuelle”.
Dans tous les cas l’Europe est loin d’être à l’unisson sur cette
question, d’où l’importance de ce vote lundi prochain.
La pression est énorme : les enjeux financiers sont considérables.
Le tout, est de faire la part des choses entre les intérêts de quelques
grandes entreprises et ceux du des citoyens européens. Malheureusement
le rapport de force entre les lobbies et les associations de défense
des consommateurs est complètement déséquilibré.
Nous recevons déjà depuis plusieurs jours des courriels de la part
d’internautes inquiets de cette dérive sécuritaire. D’ici septembre et
le passage en plénière, il est primordial que les citoyens se
mobilisent davantage pour informer leurs élus sur les enjeux cruciaux
de ce vote.
La quadrature du net a mis en ligne un wiki de mobilisation à propos du paquet télécoms.
- Antipiratage : La doctrine française filtrée par l’Europe (26/06/2008)
- La France veut riposte-graduer l’Europe (24/06/2008)
- Pour l’Europe, la répression n’est pas une réponse au piratage (10/04/2008)
- L’Europe tacle la riposte graduée à la française (08/04/2008)