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Mon Mulhouse3
6 mai 2008

Depuis le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy a installé "une gouvernance médiatique"

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Entretien avec Denis Muzet

Denis Muzet : "Sa présence a valeur de solution"

Sociologue, spécialiste des médias, Denis Muzet a créé en 1982 Médiascopie, un institut qui s'est spécialisé dans l'étude de l'impact produit par la communication sur les téléspectateurs.

  Dans Le Téléprésident (de François Jost, éditions de l'Aube, 2008), vous attribuez la victoire de Nicolas Sarkozy et la réussite des premiers mois de son mandat à sa méthode de communication. Que voulez-vous dire ?

Sans minorer les grands choix politiques du candidat puis du président de la République, la "rupture" mise en oeuvre par Nicolas Sarkozy est moins dans la politique elle-même que dans le style. Il a installé une gouvernance médiatique qui tire les leçons de l'évolution de notre société médiatique depuis une dizaine d'années.

Qu'entendez-vous par société médiatique ?

C'est une société dans laquelle les gens passent, en moyenne, trois heures par jour à regarder la télévision, plus trois heures à écouter la radio, consulter Internet, etc. Autrement dit, plus de la moitié du temps de veille consiste à avoir un rapport au réel à travers des médias, et non plus un rapport direct. Cela modifie en profondeur le rapport à la politique. Cette société médiatique est dominée par le fast news, les infos brèves en continu, et ce que j'ai appelé la "mal-info", qui ne fait qu'accroître l'anxiété devant la complexité du monde, au lieu d'en comprendre le sens.

En quoi Nicolas Sarkozy tire-t-il parti de cette évolution ?

Il a formaté des interventions très compactes parfaitement adaptées à ce flux de l'information continue et multidiffusée. On ne peut comprendre 2007 sans pointer cette spécificité de la communication présidentielle. Tout d'abord, c'est une communication "présencielle". Il a compris, mieux que d'autres, que les Français reprochaient depuis des années aux responsables politiques de n'être pas là où les problèmes surgissaient. Souvenez-vous de l'Erika, ou de la canicule de l'été 2003... Sarkozy avait expérimenté la méthode au ministère de l'intérieur ; il refait la même chose à l'Elysée : il sort du château et va à la rencontre de la France qui a des problèmes. Sa présence a valeur d'action, presque de solution.

En second lieu, le président tient moins des discours qu'il n'envoie des cartes postales : le verbe s'efface, en réalité, derrière l'image quotidienne conçue pour le journal télévisé. Cette occupation maximale de l'espace médiatique, jusqu'à la saturation, impose une présence quasi ubiquitaire.

Nicolas Sarkozy a instauré une nouvelle écriture médiatique de l'action politique qui rompt avec la solennité ou la rareté de ses prédécesseurs. Cette écriture est fondée sur l'emploi du symbole et du geste. Le poids de l'image est prépondérant : Sarkozy est un illustrateur qui écrit la bande dessinée de l'action gouvernementale. Et cette bande dessinée a illustré, pendant des mois, le message central de sa campagne, "travailler plus pour gagner plus". Joignant le geste au slogan, le président a travaillé plus, chaque jour sur le terrain, pour résoudre les problèmes des Français.

A partir de novembre-décembre 2007, le crédit du chef de l'Etat s'effondre dans l'opinion. Pourquoi la belle mécanique que vous décrivez s'enraye-t-elle ?

Entre mai et novembre, il y a synchronisation entre l'image et la bande-son du "travailler plus pour gagner plus". Cette cohérence impose l'image d'un président impliqué, qui va au charbon et qui agit. Fin novembre, effectivement, cette mécanique s'enraye, et la bulle de confiance dont il bénéficiait depuis des mois éclate.

L'image du président de la République subit une double trivialisation. D'abord la visite de Khadafi : Nicolas Sarkozy ne s'est pas rendu compte qu'il jouait avec le diable, et que le diable était meilleur communicant que lui. Non seulement Sarkozy a trouvé son maître, mais c'est sous le regard du monde qu'il a placé la France dans une situation scabreuse.

Quelques jours plus tard, l'apparition de Carla Bruni, d'abord à Disneyland, puis dans un palace égyptien ou sous le soleil de Pétra, accentue le décalage : brusquement, le président n'est plus au travail, mais dans la vacance et l'insouciance du bonheur privé. Ce narcissisme est d'autant plus ravageur que c'est le moment choisi par le président pour commencer à expliquer aux Français que sa promesse d'améliorer le pouvoir d'achat est renvoyée à plus tard.

Ce télescopage produit dans l'opinion une sorte de déniaisement, les Français ont pu se sentir victimes d'une sorte de comédie, voire de manipulation.

Cela ne bouscule-t-il pas également l'image attendue du président de la République ? On a beaucoup glosé, à ce moment-là, sur la désacralisation de la fonction...

Je ne crois pas que la "peopolisation" soit rejetée. La manière dont Sarkozy a dépoussiéré la fonction correspond à l'attente d'une présidence active, proche des gens, directe, sans chichis ni protocole. Force est de constater qu'il n'y a plus de politique sans incarnation et plus d'incarnation sans une part de peopolisation. En revanche, cette séquence de la fin d'année 2007 est calamiteuse, car elle est en contradiction radicale avec le récit constant installé depuis le 6 mai par le président.

Ce n'est pourtant que le début de la dégringolade du président dans l'opinion...

Oui, parce qu'à partir des voeux du 31 décembre et de la conférence de presse du 8 janvier, c'est n'importe quoi, des signaux incontrôlés partent dans tous les sens. Il y a d'abord ce contre-positionnement absolu qu'est la "politique de civilisation" : au moment où, pour les Français, c'est le quantitatif qui compte - hausse des prix de l'essence et du panier de la ménagère, baisse du pouvoir d'achat -, il leur tient un discours sur le qualitatif et les valeurs.

C'est un virage à 180 degrés par rapport à la logique du "travailler plus pour gagner plus", d'autant plus étonnant qu'on n'entendra plus parler de cette politique de civilisation après. La conférence de presse du 8 janvier marque, en outre, un sérieux accroc dans le contrat implicite de coproduction avec les médias du récit présidentiel. En bousculant sans ménagement et publiquement les journalistes, le chef de l'Etat a libéré la critique, qui s'est emballée aussi vite et outrancièrement qu'était outrancier l'engouement initial.

Après quoi, on est entré dans une phase accélérée de dérèglement, avec un feu d'artifice de symboles et de gestes (comme la prise en charge de la mémoire de la Shoah par les écoliers) sans aucune légende et, du coup, ne faisant plus sens. Tout s'est passé comme si Nicolas Sarkozy ne prenait pas, alors, la mesure du désamour de l'opinion, et en rajoutait, à la recherche de la baraka des mois précédents, sans comprendre que chaque initiative l'enfonçait un peu plus.

La petite phrase du Salon de l'agriculture ("Casse-toi, pauvre con") est le moment le plus symptomatique : porte de Versailles, à l'endroit même où, un an plus tôt, il expliquait aux Français qu'il avait "changé", qu'il avait mûri et gagné en sagesse, il apporte la démonstration du contraire.

En un an, la désillusion est complète, on est passé de l'illusion du pouvoir recouvré du politique au constat renouvelé de son impuissance. La conjugaison de l'aveu d'impuissance sur le terrain économique et de la réapparition du Nicolas Sarkozy nerveux et agressif qui inquiétait les Français est désastreuse. Le roi est nu et il n'y a plus de pilote dans l'avion, au moment où se réinstalle l'insécurité généralisée, économique et sociale.

Depuis quelques semaines, et lors de son intervention télévisée du 24 avril, Nicolas Sarkozy s'est efforcé de reconstruire une image plus maîtrisée, plus présidentielle. Est-ce convaincant ?

Sa prestation du 24 avril est réussie. Il a su trouver un équilibre entre dignité et proximité. Il a dosé différemment aussi fermeté et humanité, au profit de cette dernière. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps, et il lui faudra du temps pour retrouver du crédit, car cela passe par une nouvelle écriture médiatique.

Je ne crois pas à un retour à une monarchie présidentielle à l'ancienne. Ce n'est pas Sarkozy, et il aurait tort. Le mode de gouvernance médiatique qu'il a inauguré n'a pas été remis en question. Ce qui l'a été, ce sont ses excès, le passage de la geste à la gesticulation, de la fresque à la frasque.

Propos recueillis par Gérard Courtois

Article paru dans l'édition du 06.05.08.

Retrouvez moi : http://monmulhouse.canalblog.com/






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Commentaires
I
sur le terrain et dans les usines, le bilan est assez mitigé...<br /> meme si les employés ont pour la plupart pu bénéficier des avantages liés aux heures supplémentaires , leur pouvoir d'achat n'a pas augmenté pour autant à cause de la hausse du prix de la vie...<br /> travailler plus pour gagner moins ?<br /> <br /> http://www.impots-utiles.com/1-an-de-sarkozysme-premier-bilan-sur-le-terrain-video.php
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