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Mon Mulhouse3
25 avril 2008

Heures supplémentaires: quand Sarkozy s'arrange avec les chiffres

Heures supplémentaires: quand Sarkozy s'arrange avec les chiffres

   

   

Nicolas Sarkozy, lors de son allocution télévisée du jeudi 23 avril, est longuement revenu sur sa conception du travail. Selon lui, "le problème de la France, c’est qu’on ne travaille pas assez".

Passons rapidement sur le fait que la France se classe dans ce domaine, selon une étude de 2005 de l'Insee, première sur les neufs pays comparés, avec une durée hebdomadaire effective de 36,3 heures par salarié, soit plus que l’Allemagne (33,6), le Royaume-Uni (32,1), les Etats-Unis (33,8) et l’Espagne (33,2).

Passons aussi sur le fait que son taux de productivité par heure travaillée soit le troisième mondial (derrière les Etats-Unis et la Norvège). Et passons enfin sur le fait que le salaire horaire médian brut français occupe le douzième rang (devant l’Espagne, la Grèce et le Portugal) de l’Europe des quinze.

Les 35 heures, "qui ont coûté 20 milliards d’euros", sont le problème, et le dispositif d’exonération des heures supplémentaires mis en place par la loi Tepa, la solution. "Ça marche", selon le chef de l’état: "28% d’heures supplémentaires en plus" au dernier trimestre 2007, soit "un demi-million d’entreprises [qui] donnent des heures supplémentaires à 5 millions de salariés. 5,5 milliards d’euros de pouvoir d’achat ont ainsi été distribués aux français." Quelques précisions s’imposent.

Des chiffres qui ne concernent pas tous les salariés.

Les 28% cités -chiffre issu de l’enquête Activité et conditions d’emploi de la main d’oeuvre 2007(Acemo)- par Nicolas Sarkozy, concerne 5 millions de salariés. 18% à peine de la population active. Moins de 8% de la population totale.

Des revenues supplémentaires limités.

D’après cette même enquête, chaque salarié concerné a effectué en moyenne, au quatrième trimestre 2007, 2,8 heures supplémentaires… par mois. Le gain mensuel moyen pour un salarié au smic est donc d’environ 30 euros net, dont 12 euros de majoration du fait du dispositif Tepa. Le gain lié à l’exonération d'impôt sur le revenu est de…1,65 euros.

Au quatrième trimestre 2007, les heures supplémentaires versées dans le secteur marchand représentent un gain global de 2 milliards d’euros de salaire net (2,1% du salaire total distribué). Dont 0,4 milliard (0,52%) de "majoration TEPA".

Pour un coût de 550 millions d’euros de remboursement par l’état aux organismes de sécurité sociale et 100 millions environ de perte fiscale. Soit 0,65 milliard d’euros. 40% de plus que le gain induit par la majoration. Le rendement utile de cette mesure est donc négatif: elle coûte plus cher à l’état qu’elle ne rapporte aux salariés.

Quant aux "5,5 milliards distribués", Nicolas Sarkozy "confond" semble-t-il les sommes versées au titre des heures supplémentaires sur cette période et… les prévisions pour l’année 2008 en termes de coût pour les finances publiques (2,7 milliards d’exonérations salariales, 1,9 milliards côté patronal et 1,2 milliards de perte de recettes fiscales).

L'effet d'aubaine passé sous silence.

Les nombreux effets pervers du dispositif sont bien évidemment passés sous silence: effet d’aubaine pour les employeurs qui recourraient déjà aux heures supplémentaires (environ 80% des heures supplémentaires déclarées), risque important de fraudes des entreprises, substitution aux augmentations de salaires et surtout impact sur les chiffres du chômage.

Dans le secteur marchand, l’emploi n’a en effet progressé que de 0,03% sur la dernière période (novembre 2007 à janvier 2008) contre 0,13% pour l’année précédente (novembre 2006 à janvier 2007).

Si la conjoncture économique explique en partie ce phénomène, le recours aux heures supplémentaires permet à l’employeur d’éviter de nouvelles embauches en confiant le surcroît d’activité à des salariés existants. Et donc d’éviter les coûts inhérents aux CDD (prime de précarité) ou tout simplement au recrutement et à la formation de nouveaux employés.

Les heures sup non déclarées faussent la donne.

L’ensemble des statistiques comparatives en matière d’heures supplémentaires se fonde sur les seules déclarations de l’employeur. Or, d’après l’inspection du travail, 85% du travail dissimulé constaté en France ressort d’heures supplémentaires non déclarées (90% des plaintes).

L’augmentation en volume des heures supplémentaires ressort donc à priori, pour une part essentielle, de la réintégration des volumes masqués dans les déclarations, du fait de l’exonération fiscale dont bénéficie l’employeur au titre de la loi Tepa. Bien qu’il n’existe, curieusement, aucune étude statistique sur le sujet, Gérard Filoche (inspecteur du travail) évoquait le chiffre de 2 à 2,5 milliards d’heures supplémentaires réelles par an.

Rappelons qu’en 1993, le rapport Mattéoli (alors président du Conseil économique et social) faisait état de 1,2 milliards d’heures supplémentaires.

Quinze ans plus tard, la loi Tepa tablait sur un chiffre de 30% inférieur, alors même que la durée légale du travail a diminué, et que la population active a considérablement augmenté. Au regard des premières projections, il semblerait que les heures supplémentaires déclarées en 2008 atteindront 700 millions environ, et non les 900 millions prévus par le texte. Un chiffre encore très éloigné de la réalité.

L’étude Acemo 2007 confirme cette explication totalement passée sous silence: selon elle, une part importante de l’augmentation constatée provient… de la régularisation d’heures supplémentaires auparavant non déclarées par les entreprises.

C’est sur cette même étude que se sont appuyés Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy dans leurs récentes déclarations. Ils en ont donc eu une lecture pour le moins sélective…

La loi Tepa aurait de ce fait une seule vertu véritable: inciter l’employeur à déclarer des heures supplémentaires jusque là dissimulées. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Pour l’année 2008, le gouvernement a budgété un coût total de 6 milliards d’euros sur ce seul terrain. Soit 85% des 7 milliards de réduction des dépenses publiques prévues dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, qui vont toucher les fonctionnaires, l’enseignement, le logement social, la santé, les transports, etc.

La politique économique actuelle impressionne par sa cohérence. La communication présidentielle également, par son sens aigu de l’ellipse.


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