« Il faut à tout prix s'accrocher au statut d'hébergeur » : Olivier Iteanu, avocat
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39380128,00.htm
Estelle Dumout, publié le 1 avril 2008
Juridique - Dans l’affaire Fuzz.fr, le juge a considéré que le créateur du site avait engagé sa responsabilité en sa qualité d’éditeur. Pour l’avocat Olivier Iteanu, il faut préserver le statut d’hébergeur en fixant des règles du jeu claires. Explications.
Vendredi 28 mars, la décision du tribunal de grande instance de Paris a fait l'effet d'une douche froide sur l'ensemble de la blogosphère : le blogueur Éric Dupin a été condamné en référé pour atteinte à la vie privée de l'acteur Olivier Martinez. Ce dernier dénonçait la présence d'un lien sur le site Fuzz.fr, un « digg-like » géré par Éric Dupin, faisant état de sa relation amoureuse supposée avec une chanteuse australienne.
Le tribunal a considéré qu'Éric Dupin organisait l'information sur ce site, en triant et en hiérarchisant les liens par catégorie. Le lien incriminé « procède d'une décision délibérée de la société défenderesse (celle de M.Dupin) qui contribue ainsi à la propagation d'informations illicites engageant sa responsabilité civile en sa qualité d'éditeur », a estimé le juge.
Olivier Iteanu, avocat au barreau de Paris, analyse pour ZDNet.fr les conséquences de cette décision.
ZDNet.fr - Etes-vous surpris de la décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris ?
Olivier Iteanu -
Il faut se souvenir que la première décision qui a jamais été rendue
sur la question remonte à 1996 : le Conseil constitutionnel avait
censuré un amendement inséré dans la loi de réglementation des
télécommunications. Cet amendement avait été à l'origine introduit par
François Fillon, alors ministre délégué aux Télécoms. Il devait rendre
les prestataires techniques et les fournisseurs d'accès à internet
totalement irresponsables devant la loi des contenus qui transitent par
leurs services.
Le Conseil constitutionnel n'avait pas accepté ce principe. Cela fait donc maintenant plus de dix ans que l'on débat à ce sujet en France, et la question est loin d'être réglée. Nous sommes passés d'une logique linéaire avec les médias traditionnels, à un média internet beaucoup plus interactif : il est évident que cela désarçonne beaucoup les tribunaux, car ils ne travaillent plus avec des outils adaptés.
Pourquoi la LCEN, qui érige un statut d'hébergeur, n'a-t-elle pas été appliquée ?
Dans
le cas d'Éric Dupin, le tribunal n'a pas cherché à déterminer quel
statut lui attribuer, hébergeur ou non. Il a simplement constaté une
atteinte à la vie privée, qui est indéniable. L'ordonnance de référé
est succinte, mais je ne suis pas certain qu'un jugement sur le fond
aurait statué différemment. Tant que l'on n'aura pas adopté des règles
claires pour la publication en ligne, il y aura des problèmes pour ceux
qui vivent dans la réalité « virtuelle ». Et pour ce blogueur, il est
logique que dans son état d'esprit, il trouve la condamnation injuste,
puisqu'il n'a pas participé à l'élaboration de l'information
incriminée. En toute logique, c'est la personne qui a fauté qui doit
réparation.
Quel impact aura cette décision ?
Cette
décision a eu un fort écho, dans ce sens elle fera jurisprudence. Et il
est évident qu'il va y avoir des tentations en particulier de la part
des gens du show business, pour contrôler les écrits qui sont publiés
sur eux.
Comment les blogueurs et les responsables de sites peuvent-ils se prémunir ?
Il
faut que les blogueurs et les responsables de sites établissent des
conditions d'utilisation claires, qui fixent les règles du jeu, en
reportant la responsabilité sur ceux qui créent des contenus. Je ne
recommanderai toutefois pas de passer en modération a priori des liens
ou des commentaires, puisque dans ce contexte, la personne endosse la
responsabilité de ce qui est publié. Il faut à tout prix s'accrocher au
statut d'hébergeur, car sinon où s'arrête-on : le blogueur devient
responsable des milliards de pages publiées sur internet ?
Faut-il changer la loi pour donner un véritable statut aux éditeurs ?
Je
ne suis pas d'accord avec la diatribe anti-blogueur qui oppose parfois
la presse professionnelle et les blogueurs : le statut d'éditeur ne
viendra pas forcément changer quelque chose. La question est de
s'ouvrir au monde collaboratif, pas d'être éditeur ou non. Un éditeur,
même professionnel, ne voudra pas endosser la responsabilité pour les
contenus créés par d'autres.
Par Estelle Dumout, ZDNet France
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