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Mon Mulhouse3
5 mars 2008

Orwell, ou Big Brother expliqué à ma fille

 

Orwell, ou Big Brother expliqué à ma fille

 

Par Eric Dior, qui voit dans le regain d'intérêt des lycéens de France pour l'auteur de 1984 une saine initiation à la réflexion antitotalitaire.


 

Orwell, maître à déchiffrer la barbarie climatisée (Photo Work play, flickr, cc)

Orwell, maître à déchiffrer la barbarie climatisée (Photo Work play, flickr, cc)

 

Prenez le rejeton d'un modeste fonctionnaire de sa Majesté. Inscrivez le dans une public school pleine de freluquets titrés, bien au-dessus des moyens de ses géniteurs. Affublez-le de pantalons trop courts et de chandails mités. Faites savoir, enfin, que l'impudent roturier a obtenu une bourse qui couvre tout juste ses frais de scolarité. Laissez mijoter….Trente ans plus tard, vous obtenez un «radical » et, ce qui est moins banal, un essayiste politique hors du commun. Un maître à déchiffrer la barbarie climatisée qui tire ses intuitions de son « archaïsme » moral joint à sa passion de l'égalité.
Un drôle d'animal, plébiscité, selon une enquête récente, par les lycéens français qui le considèrent comme une boussole infaillible pour aborder le nouveau siècle. Un grand-oncle bougon, désormais inscrit au programme des lycées, qui ne rate jamais sa cible quand tous les autres pétaradent à tout va. Indice sûr, l'adjectif « orwellien » a envahi le parler « jeune » même s'il sert aussi bien à décrire la hargne homicide de la junte birmane qu'une erreur de fichier à la sécurité sociale. La preuve que nos chers ados, prétendument nihilistes, sont éperdument en quête de pédagogues.

Lisible dès dix ans
Ironie suprême, c'est par son archaïsme même que l'auteur d'Animal Farm (La ferme des animaux, publié en 1945) est préféré à tous ceux qui fixaient, de son temps, les normes du vrai chic idéologique. Cet anarchiste conservateur demeure « tendance » parce qu'il est farouchement désuet. Il a d'entrée de jeu l'intuition que la religion du progrès, après avoir été libératrice, sera désarmée face aux futures superstitions marchandes. Cet égalitariste irrévocable s'est précocement dégagé des illusions modernistes au nom desquelles s'effectue, aujourd'hui, la destruction du monde. A rebours des dévots des chimères historicistes, Eric Blair (son vrai nom) pense que le machiavélisme, même au service d'une noble cause, est un songe creux. Il préfère aux fracas du Grand soir les petits matins qui fredonnent, car les vrais révolutionnaires sont condamnés, dit-il, à l'à peu près et à la modestie.


 

La Ferme des animaux : la pensée unique à portée des enfants. (Photo Noemie Pinganaud)

La Ferme des animaux : la pensée unique à portée des enfants. (Photo Noemie Pinganaud)

 

Rien d'ébouriffant pour qui a lu les classiques de la littérature antitotalitaire, à ceci près que Orwell, lui, est lisible dès l'âge de dix ans. Comme si Tocqueville ou Camus avaient hérité des talents de conteur de La Fontaine ou de Swift, et choisi l'allégorie animalière pour décrire la fourmilière stalinienne ou la servitude réjouie de bipèdes décervelés. Pour ce cœur pur, la foire d'empoigne capitaliste s'apparente à une basse-cour. Forçats de la traite, les vaches d'Animal Farm sont promises, dès que leur lait se tarit, à l'équarissage. Les poules sont soumises à des cadences de ponte infernales, jusqu'à ce que les porcs s'instituent avant-garde autoproclamée de l'animalisme en marche.

La lutte contre le « politically okay »

Publié à la fin de la seconde Guerre mondiale, Animal Farm lui vaudra aussi bien la haine des communistes que l'opprobre de la gauche libérale qui, en ce début de Guerre froide, hésite encore à choisir son camp. Après moult refus, seul l'éditeur londonien Secker and Warburg osera braver ce qu'Orwell baptise déjà le « politically okay ». Autre crève-cœur pour cet ami des humbles, les lauriers offerts par des conservateurs faisant semblant de croire que son œuvre est un hymne au statu quo social. Emporté par la tuberculose, il épuisera ses dernières forces à batailler contre les sépulcres blanchis qui vous obligent à opter pour la liberté ou la justice sociale « et qui méritent, disait Camus, son frère en rectitude, qu'on leur crache au visage » !


 

Mercredi 05 Mars 2008 - 00:04

 

Eric Dior

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